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La guerre des idées

Une idée est-elle vivante ?

« La meilleure façon de se venger d'un ennemi, c'est de ne pas lui ressembler. »
Marc-Aurèle

 

Il y a quelques années de cela, ma cousine (qui était en train d'écrire un mémoire sur la morale et la science, ou une approche scientifique de questions morales, enfin je sais plus exactement) m'a parlé d'un livre intitulé « Le gène égoïste » (de Richard Dawkins) et évoqué certaines des idées abordées par ce livre. J'ai ensuite cherché à l'acheter, mais il était épuisé... Je n'ai donc pas pu le lire et me suis retrouvé avec seulement des fragments (assez stimulants) d'idées tirées de ce livre... Et aussi peut-être d'autres sources que je mélange, parce que je ne me souviens pas forcément très bien d'où me viennent mes sources de réflexion. ^^;

J'ai vu qu'il avait été réédité depuis. Faudra que je le commande, histoire de voir à quel point j'ai mal (ou bien ?) compris ce que voulait dire l'auteur... De toute manière au stade où j'en suis, je m'en fous un peu, vu que "ma" théorie tient suffisamment debout toute seule pour que je ne ressente pas particulièrement le besoin d'avoir une "autorité" pour la valider. (Je mets des guillemets autour du "ma" (théorie), parce que je soupçonne quand même que cette théorie n'est pas forcément 100% originale... Mais enfin, même si elle a déjà été formulé ailleurs et avant moi, je l'ai quand même formulée moi-même --à partir de différentes sources pas forcément identifiables.)

Enfin bref. Tout ça pour dire que le fruit de mes cogitations, ici présenté, provient en partie de ce livre. Et en partie d'autres livres ou sources diverses --parce que ce que j'aime bien dans cette théorie, c'est qu'on peut l'appliquer à des tas de domaines.

Donc. L'une des idées évoquées à ce moment-là, était une sorte de théorie darwinienne de l'évolution... mais de l'évolution des idées. Autrement dit, les idées sont comparables à des êtres vivants, dans la mesure où elles naissent, vivent et meurent. Et entre deux, certaines évoluent, s'adaptent, s'accouplent avec d'autres idées, en phagocytent d'autres, combattent d'autres idées, et ainsi de suite... Et en fin de compte, on arrive un peu aux mêmes conclusions que la théorie de l'évolution : les idées les mieux adaptées à l'air du temps survivent (ou celles qui sont suffisamment "souples" pour s'y adapter), les autres trépassent.

Déjà à ce niveau, ça m'a fait tilt, parce que rien que cette idée (sic !) est assez forte et donne une toute autre lecture du monde de tous les jours. Je me suis mis à imaginer les "idées" comme des organismes un peu surnaturels (assez littéralement, en fait), de gigantesques entitées plus ou moins insaisissables qui utilisent les individus comme véhicules pour se propager, se combattre les unes les autres, et survivre... Ce tableau fait un peu "paranoia lovecraftienne", dit comme ça, mais quand on y pense, toute communication humaine se base sur des idées. Et toute communication humaine peut être vue comme une tentative, pour une ou plusieurs idées, de se propager, à partir d'un individu, et d'"ensemencer" les individus à proximité... Brrrr...

Bon, formulé comme ça, on a l'impression d'assister à une sorte de viol cosmique d'un pauvre humain fécondé par un Grand Ancien gélatineux, alors qu'en fait, il faut bien comprendre que ce phénomène est totalement permanent et inévitable. On ne peut vivre en dehors d'un réseau de relations humaines (fut-il minimal), de communication, et on ne peut vivre sans être influencé à un degré ou à un autre.

A partir de là, on peut poser plein de question morales sous un jour différent. La loi du Talion, par exemple, se plante complètement, vue sous cet angle. "Oeil pour oeil, dent pour dent" --par exemple si quelqu'un me frappe, je le frappe en retour. Et ce faisant, je reproduis son comportement, et je propage l'idée qui est à la base du comportement de mon "ennemi". J'ouvre grand les portes de mon esprit à son "idée", qui s'engoufre en moi et prend les commandes. Je donne donc raison à son idée, et je la rend plus forte (à mon échelle, évidemment). Autrement dit : j'abdique et donne raison à l'idée qui se tapit derrière mon "ennemi".

Bien sûr, je n'avais pas attendu cette façon de voir les choses pour arriver à la conclusion que la loi du Talion, c'est un peu le système moral primitif par excellence, mais je trouve sympa d'avoir une nouvelle façon d'expliquer ça (même si c'est une façon un peu abstraite et un peu compliquée).

Mais la preuve que je n'invente rien, c'est la citation de Marc-Aurèle que j'ai reproduite en introduction de ce texte : « La meilleure façon de se venger d'un ennemi, c'est de ne pas lui ressembler ». Et voilà que cette phrase, que je trouve d'une très grande subtilité, prend une dimension supplémentaire lorsqu'on la soumet à notre façon de voir les choses. Car en fin de compte, suivre le conseil de l'"empereur philosophe", c'est voir au-delà de l'individu qu'on appelle "ennemi", et voir le schéma de comportement qui se cache derrière lui --oui : l'idée qui se cache derrière lui. Et c'est refuser d'alimenter cette idée, c'est refuser d'aider cette idée à survivre. Si on considère quelqu'un comme un ennemi, c'est qu'il nous a fait quelque chose qui nous déplaît (pour le moins !). Et donc, affaiblir l'idée qui a guidé notre ennemi, qui est donc à l'origine de notre déplaisir, c'est dépasser le réflexe de la vengeance aveugle (car guidée par le comportement de l'autre), pour contribuer à rendre le monde un peu meilleur (suivant notre conception du "meilleur", évidemment)...

 

Note : ce billet est une reprise d'un texte que j'avais écrit sur mon précédent blog (Wordpress); je ne sais plus à quelle date je l'avais écrit, mais il doit avoir pas loin d'une année. Depuis j'ai lu le livre en question, en j'en ferai peut-être l'objet d'un billet à l'occasion.

Commentaires

Portrait de Psykotik
Psykotik

C'est tout à fait l'idée de Hegel avec son "idée qui parcours le monde", que Marx combattera farouchement, puisque pour lui tout est à ramener à la matière (et tout idée n'est que l'émanation des conditions matérielles contextuelles).

Je suis assez d'accord avec ce que tu dis, mais j'y mets un bémol fort : les idées ne sont pas comprises de la même manière par tous les individus. Une même idée peut non seulement être diverger quant à sa réalisation (regarde comment l'idée de recherche du "bonheur" diverge entre les USA, l'Europe et l'Asie), mais prendre même un sens totalement différent parmis les différents individus : la liberté, à droite, est à des lieues de la liberté de gauche.

En fait, je crois qu'une idée n'est jamais neutre; on peut essayer, pour des raisons de compréhension du monde, d'essayer de la synthétiser mais, ce faisant, on la réduit à une caricature de ce qu'elle est vraiment. Lorsque tu creuses vraiment une idée, tu te rends compte de sa complexité, de sa volatilité. Une dialectique oppose toujours les idées, qui portent en elles-même leur propre contradiction. De là, elles ne sont pas autonomes, et certainement pas inévitables (j'aime pas ton déterminisme en général, tu le sais :) ). Elles connaissent bien des mécanismes d'auto-renforcement comme tu le soulignes, mais ce qui se construit peut tout aussi bien se déconstruire...

JC, un peu trop nietszchéen pour le coup.

Portrait de s427
s427

Alors je dirais ceci :

1. tu dis "les idées ne sont pas comprises de la même manière par tous les individus" : tout à fait, mais dans ce cas j'aurais tendance à les considérer comme des idées différentes, ou une sorte de mutation (voir mon point 2). Si l'idée du bonheur diverge entre l'Europe et les USA, c'est que fondamentalement, ce sont deux idées différentes (sous la même étiquette), qui auront donc tendance à entrer en conflit. Pour reprendre une métaphore biologique, on peut peut-être (mais là j'extrapole tout à fait spontanément) considérer le thème "bonheur" comme un écosystème, et les différentes "idées du bonheur" sont autant d'"espèces" qui se battent pour cet écosystème. Quoi qu'il en soit, je ne considère pas ta remarque comme un bémol (je ne vois pas ce qu'elle met fondamentalement en cause dans ce que j'ai dit), mais plutôt comme une précision.

2. Il faut s'entendre sur ce qu'on veut dire par le mot "idée". De toute évidence, tu penses immédiatement à des "idéologies", alors que moi je pense à des idées à un niveau beaucoup plus petit. Un peu comme si (métaphore biologique !) tu parlais d'espèces animales, tandis que moi je parle de fragments de code génétique. Peut-être faudrait-il utiliser un autre mot que "idée", qui est beaucoup trop riche et flou pour servir de fondation solide à une discussion. Dans "le gène égoïste", Dawkins utilise un terme de son invention : le "mème", (basé sur le mot "mimétisme" et déformé pour le faire ressembler à "gène") pour désigner ce nouveau type de "réplicateur". Un réplicateur est un fragment d'information ayant la capacité de se répliquer (le gène est un réplicateur, le mème aussi). Dawkins utilise le terme "mème" pour désigner toutes sortes de types d'information : par exemple, une chanson est un mème. Certaines chansons réussissent mieux que d'autres à se propager dans l'esprit des gens, certaines "survivent" plus longtemps dans les mémoires, etc. Un proverbe est un mème. Une déformation du langage (p.ex. "si j'aurais su") est un mème : c'est un cas où la faute de grammaire, pour une raison X ou Y, se propage plus facilement dans l'esprit des gens que la règle correctement appliquée. "Dieu" est un mème, mais c'est un mème complexe, un agrégat de nombreux mèmes plus petits. Idem pour les idéologies. Et caetera.

Et je suis tout à fait d'accord avec le fait qu'une idée (pour revenir à ton message) peut se déconstruire.

3. Par contre ensuite je ne te suis plus. Je ne dis pas que les idées sont autonomes, et je ne dis pas qu'elles sont inévitables. Je ne vois pas comment tu arrives à cet aspect du problème à partir de mon texte. Pas sûr de bien comprendre ce que tu veux dire par là, donc je ne sais pas si je suis d'accord ou non. Et je ne me considère pas comme déterministe, mais là encore, il faut s'entendre sur la signification qu'on donne à ce terme, sa portée et ses implications (notamment au niveau moral parce que je suppose que si tu "n'aimes pas" ça, c'est pour des questions morales ou disons, métaphysiques).

(L'article consacré au déterminisme dans Universalis 10 met clairement en évidence le caractère ambigu du terme et ses résonnances multiples et contradictoires. On ne peut pas se contenter d'utiliser ce mot comme si son sens et ses implications étaient évidents et univoques.)

Portrait de Arkhoide
Arkhoide

2ans après... Juste pour dire que Bernard Werber a traduit une "pensée" du genre dans son Encyclopédie du Savoir Relatif...il l'a aussi cloturé par avec une petite touche d'humour ironique "...et ce n'est qu'une idée".

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