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La cinquième tête de Cerbère

The Fifth Head Of Cerberus
de Gene Wolfe, 1972

Tout à l'heure sous ma douche, je repensais à ce roman de SF que j'ai lu il y a quelques années1, et je me suis dit que j'allais en faire un billet.. J'espère que je vais m'en souvenir avec suffisamment de netteté, parce que c'est un roman fascinant, mais d'une approche assez délicate.

La cinquième tête de Cerbère s'articule en trois longues nouvelles :

  • La cinquième tête de Cerbère
  • « Récit », par John V. Marsch
  • V.R.T.

Ces trois nouvelles semblent n'être liées que par des liens des plus ténus : ici et là, une allusion à un personnage ou à un lieu, tout au plus. Mais en réalité ce roman est une construction aussi subtile que rigoureuse, et sa nature fragmentée participe pleinement au propos qu'il met en place.

Les trois nouvelles tournent toutes autour de deux planètes jumelles, Sainte-Anne et Sainte-Croix. Celles-ci furent jadis conquises par des colons Français, avant qu'une guerre éclate (ou un événement comparable, qui n'est jamais très bien précisé dans le roman) et les fasse passer sous tutèle anglaise. Mais avant l'arrivée des Français, il semble que ces planètes (ou l'une d'entre elles, tout au moins) abritaient une population indigène, qui aurait ensuite été massacrée par les arrivants humains. Selon certaines théories, ces indigènes possédaient la capacité de changer d'apparence à volonté, et ils se seraient intégrés à la population humaine pour éviter les persécutions. Une autre théorie va même jusqu'à affirmer qu'ils ont complètement remplacé les humains de cette planète, tout en conservant leur apparence et leurs coutûmes...

Le coeur du roman tourne donc autour de ces indigènes mystérieux et sujets à toutes les controverses. Que sont-ils devenus ? Ont-ils réellement tous disparus ? Ont-ils jamais existé ? A quoi ressemblaient-ils ? C'est évidemment la question de l'identité et de la mémoire qui est posée par ce roman. Identité et mémoire d'un peuple, mais aussi identité et mémoire d'un individu, les deux aspects se reflétant à l'infini, comme deux miroirs placés face à face.

Sur cette base, La cinquième tête de Cerbère multiplie les situations ambigües, où rien ni personne n'est jamais vraiment ce qu'il semble être (un principe d'écriture dans lequel Gene Wolfe semble exceller, comme en témoigne sa grande série du Livre du nouveau soleil de Teur). Toutes les questions restent ouvertes (après tout, prétendre donner des réponses à des problématiques pareilles serait passer à côté du problème), toutes les interprétations sont possibles et offertes au lecteur comme autant de pistes de réflexion.

Les différentes parties du romans sont autant d'ambiances différentes, mais il convient sans doute de préciser que l'ensemble de l'oeuvre est de nature, on va dire "contemplative". La première nouvelle baigne dans l'ambiance mystérieuse et ouatée d'un souvenir d'enfance qui part en lambeaux; la deuxième évoque un récit mystique empreint de paganisme; la troisième se rapproche d'un cauchemar bureaucratique kafkaïen.

Bien sûr, les parallèles avec la colonisation de l'Amérique (du Nord en particulier) ou d'autres parties du monde sont nombreux, et rendus encore plus frappants par la coloration religieuse du deuxième récit, qui s'oppose nettement avec les nombreux éléments de culture chrétienne présents dans les autres récits. Mais, pour intéressante que soit cette grille de lecture, La cinquième tête de Cerbère ne s'y limite aucunement.

Pour ceux qui lisent l'anglais, un site web existe, exclusivement consacré à cette oeuvre et à ses nombreuses facettes : Cave Canem (contient des spoilers, donc à éviter si vous n'avez pas déjà lu le livre).

Un autre lien intéressant (également en anglais), plus inoffensif mais moins dense : Gene Wolfe.

  • 1. Je sais pas pour vous, mais pour moi la douche est toujours une occasion de penser à plein de trucs en vrac, au gré de l'inspiration du moment. D'ailleurs mes douches durent souvent assez longtemps...

Commentaires

Portrait de if tangoïde
if tangoïde

Grand souvenir que ce livre de Gene Wolfe, pour ma part. La douche devrait être la plus brève possible pour tout le monde: l'eau est un trésor à ne pas gaspiller. Non, non, je ne milite nulle part et ne suis pas pingre. Amicalement.

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